Conversation intérieure

"L'homme"

Non, je n’attends plus rien de cette vie trop terne
Immaculée d’absurde et imbibée de pleurs,
Le vent a trop soufflé sur ma pauvre lanterne
Dont l’ombre désormais accentue ma douleur.

Passe, passe le temps, égrène tes lambeaux
De secondes rougies par le sang des défunts,
Lorsque j’aurai le corps couché dans le tombeau
Alors je humerai ton savoureux parfum.

Mais pour l’instant, vois-tu, je suis las de tes heures
Et je prie chaque jour ce Dieu malentendant,
Pour qu’il daigne actionner le maudit ascenseur
Qui me mènera droit dans les bras de Satan.

Non, je n’attends plus rien, Enfer ou Paradis,
Peu importe le lieu puisque je serai seul,
Abîmé de chagrin et l’âme abasourdie
Je resterai blotti dans le froid du linceul.

Passe, passe le temps, égrène tes tombeaux…
Le souvenir déploie son chant de décibels
Pour me conter l’époque où j’étais presque beau
Quand tu posais sur moi ton regard … Ô ! Ma belle…


« La voix »

Jeune homme impertinent, cesse donc ces paroles !
Car tu ne portes pas de couronne d’épines,
Pourquoi veux-tu toujours jouer ce piètre rôle
Et ne voir de la vie qu’un enfant qui décline !

Mais je suis là aussi pour te montrer la route
En essayant au mieux de poser des balises,
Et même au beau milieu de ton brouillard de doutes
Voici ce que j’aurais aimé que tu me dises :

"Oui, j’attends de la vie cette flamme vermeille
Sur l’aube déhiscente en cette fleur mutine,
Et je boirai, enfin, comme Dame l’abeille
Ce pollen en ton corps par mon cœur qui butine.

La vie est une source, un puits intarissable,
Une mer éternelle aux embruns de plaisir,
Et qu’importe Saturne avec ses grains de sable :
Avoir au moins vécu, tel est mon élixir !

Les douleurs, les chagrins, les peines et les maux
Ne trouveront jamais fortune en ma demeure,
Le bonheur, la gaîté, le bien-être et les mots
Triompheront : la joie n’est pas une rumeur !

Oui, j’attends de la vie des perles de tendresse !
Des sourires d’enfants et du vin partagé !
Tous ces moments heureux que les braves gens tressent
Et je vivrai vivant, et je mourrai âgé !

Passe, passe le temps, je suis beau désormais
Les rides à venir marqueront mes victoires,
Peu de monde viendra me voir et m’acclamer
Mais toi tu seras là, lueur dans la nuit noire…"


« L’homme »

Peut-être as-tu raison, mais la folie me perd
Et je ne perçois plus cette réalité,
L’onirisme m’aspire et tout ce que j’espère
C’est qu’un jour cet écho cesse de m’entêter.

Je ne suis plus capable aujourd’hui de peser
Le bien, le mal, le pour, le contre ou autre chose,
Et suis-je encore moi ? La question est posée…
Si le noyau se meurt, le fruit se décompose !

Ton chant est inutile, Ô ! Voix de mon esprit,
Et tu uses en vain ta salive précieuse,
A peine si parfois je m’agenouille et prie :
Car j’ai l’âme perdue tant elle est capricieuse !

Alors laisse-moi boire à l’onde de ma peine
Laisse-moi me noyer dans un torrent de larmes,
J’ai trouvé mon refuge auprès de la fontaine :
Et le vin qui s’écoule est une si belle arme !


« La voix »

Je ne m’inquiète pas : ta douleur n’est pas vaine !
Elle te permettra de trouver ton chemin,
Car le sang s’écoulant au milieu de tes veines
Jaillira, un matin, par le creux de ta main.

Etanche à la liqueur ta soif d’incertitude
Roule-toi dans la boue et mange de la fange,
Car c’est chez le poète une vaste habitude :
Ramper avec les vers puis côtoyer les anges !


« L’homme »

« Poète », me dis-tu ? Mais quel mot saugrenu !
Ce vocable insensé, hélas, me désempare…


« La voix »

Cependant, réfléchis ! Poursuis ta mise à nu
Explore l’invisible et viens me voir plus tard.