Dyane Modératrice
Nombre de messages : 3922 Localisation : Le Pays des Ducs de Bourgogne Loisirs : Poésie-photo-tir à l'arc-danse-sculpture-tout ce qui touche à la nature et au partage Date d'inscription : 05/10/2008
| Sujet: Le secret de Sueanne (7) Ven 9 Mar - 22:11 | |
| Monsieur l’instituteur, J’espère que vous allez mieux. Que le temps doucement atténue votre chagrin. Comme je vous comprends moi-même monsieur…Il faut que je vous dise avec mes mots car je pense que vous avez su mon histoire par mes parents. Mes derniers échanges avec eux furent si violents que je ne leur ai pas réécrit jusqu’à ces derniers temps.. Les années ont passé. Dans mes dernières lettres j’ai tenté plusieurs fois de vous dire, sans jamais oser, mais j’ai grand besoin de vous avouer…Je sais tout ce qu’on a dit, tout ce qu’on dira de moi et je n’y attache guère d’importance. Mais vous, vous qui m’avez été d’un si grand soutien, je veux que vous sachiez. Je vous demande beaucoup, soyez ma mémoire monsieur, et comprenez que je ne suis pas celle qu’on a pu vous dépeindre.Je vous avais parlé je crois, de ce jeune homme blessé, à qui j’ai appris à lire sur son lit d’hôpital. Au bout de quelques mois seulement il lisait et parlait presque couramment le Français. Amoureux des livres et de théâtre, il dévorait romans et pièces et tandis que je travaillais à refaire les lits, laver le sol, ranger les draps, c’est lui, qui sur son lit de souffrances me faisait la lecture et m’expliquait même parfois, ce qu’avaient voulu exprimer les auteurs.Frantz avait eu une jambe arrachée lors d’un bombardement et sans les efforts acharnés des médecins, il n’aurait pas survécu.Enrôlé à la guerre comme nombre de mes amis, sans l’avoir voulu, Frantz a été aidé par un groupe de résistants à rejoindre son pays. Je n’en sais pas plus sur cet épisode. Il est des instants opaques mais qu’il vaut mieux ne pas vouloir éclairer pour mieux se protéger et protéger ceux qu’on aime. Parce que bien sûr, vous l’avez déjà compris, nous étions devenus amoureux fous l’un de l’autre.Frantz était la vie personnifiée, grand, blond. Toujours gai malgré les épisodes douloureux qu’il venait d’endurer. Dès la proclamation de la fin de la guerre, il m’a rejointe. Mais rien n’avait changé dans la tête de nos compatriotes et je peux le comprendre. Tant et tant ont perdu fils, frères, pères, amis… Nous avons vécu comme des reclus, mais si heureux. ..Un jour, alors que comme chaque matin j’avais préparé le lait et la chicorée, je fus étonnée de ne pas sentir Frantz m’attraper par la taille pour m’embrasser. Je l’ai trouvé mort, dans notre lit. Sa blessure l’avait finalement emportée. Il avait une infection et n’avait pas voulu me faire peur et puis, nous avions si peu d’argent…Le médecin m’a avoué qu’il souffrait depuis de nombreux mois mais qu’il tenait à travailler pour ne pas vivre à mes dépends.Le mois suivant, je découvrais que je portais son enfant. Affolée à l’idée d’être seule, loin de tout, j’ai écrit à ma mère. Je lui ai expliqué avec des mots de femme, des mots d’enfant. J’étais terrorisée. Je ne vous dirai pas ce que fut la réponse. Je suis allée en Suisse. C’était l’été et je découvrais Genève et son lac.J ’en suis revenue après quelques mois, vide, sans cœur et sans âme. Officiellement j’avais avorté. Mais en réalité j’avais rencontré une famille en mal d’enfant. J’ai vécu auprès d’eux. J’ai eu un petit garçon et suis revenue en France, seule….Il aura cinq ans demain. Cinq années à penser à lui à chaque instant et à son père. A-t-il sa fossette au menton, ses boucles blondes, son regard…Est-il heureux ? Connaitra-t-il un jour l’histoire de Frantz et Suzanne.Après avoir été une fille de rien engrossée par un Allemand, j’étais une mère ayant abandonné son enfant. Sans doute ne pourrai-je jamais faire la paix avec moi-même. Sans doute est-ce le prix à payer pour cet amour si bref mais qui m’a tout donné.Voilà ce qui pèse à mon cœur et mes tripes depuis trop de temps et qu’il fallait que je vous dise. Je vous demande humblement pardon de vous faire partager ce fardeau mais je n’ai que vous à qui me confier. J’ai rencontré dernièrement un jeune pharmacien, mes parents veulent bien le rencontrer et si je crains un peu de les revoir, j’ai aussi l’envie de retrouver mes frères, mes amis et vous..vous. Ne leur dites surtout rien sur cet enfant. A très bientôt donc J’espère ne pas pleurer lorsque je vous retrouverai et s’il m’arrivait d’être trop faible sachez que ce seront des larmes de bonheurJe vous embrasse ainsi que Clément et sa petite famille. Suzanne | |
|