Un jour
Un jour le jour est tombé. POC ! Par
terre.
Qui a poussé le jour ?
Il était tout là-haut à midi, entre l’orient et
l’occident. Dans un panier d’étoile, c’était un petit jour, fragile encore, il
a cru voir une fumée grise dans le ciel. Il s’est hissé sur la pointe des
pieds. Il s’est penché, penché, penché… Et puis il est tombé. POC ! Par
terre.
Il s’est fait mal ?
Oui, le petit jour a eu très mal, ses genoux
étaient décolorés, les ombres passaient au travers. Il a eu très peur. Il a
rampé le jour. Il s’est posé sur une pierre, c’était les dernières lueurs du
jour.
Personne ne sait combien de temps le jour est
resté là, seul comme un mauvais jour.
Et puis la nuit est rentrée, elle avait fini sa
distribution de rêves de l’autre coté du jour, elle rejoint sa place dans le
panier d’étoiles, elle ne voit pas le jour !
Elle s’inquiète, elle se hisse sur ses pieds
cambrés, elle se penche, elle se penche…
Elle tombe. PAF ! Par terre.
Elle s’est fait mal ?
Oui, la nuit a mal, ses genoux sont décolorés,
la lumière passe à travers. C’est une douce nuit, elle a peur, elle rampe, elle
se cache sous la pierre à coté de son frère le jour, comme une nuit blanche.
Et maintenant, ce n’est plus ni le jour ni la
nuit, c’est autre chose, tout gris qui voit passer la grande fumée grise de la
belle mondiale usine…
Il n’y avait plus de coucher de soleil, il n’y
avait plus d’aurore, il n’y avait plus de veillée où les hommes chantaient des
chansons.
Et les hommes avaient peur,
Il n’y avait plus d’histoire à raconter aux enfants, Homère avait peur, Esope avait peur,
Merlin avait peur, Don Quichotte avait peur, Robinson avait peur, et la Fée clochette
et tous les enfants perdus avaient peur…
Et la terre en colère se transforma en boue
Et l’eau en colère se transforma en tornade
Et le vent en colère se transforma en ouragan
Et le feu en colère mit le feu à la forêt
Il y eu une grande discussion parmi les hommes
– Moi je veux qu’il fasse jour et pis c’est tout !
– Moi je veux qu’on allume la nuit !
– Moi je veux savoir quelle heure il est !
– Moi j’ai froid !
– Moi j’ai faim !
Et les hommes avaient soif, mais la vigne ne donnait plus de fruit,
la vigne avait rendu toutes ses larmes, et pleurait
encore transie derrière sa dernière feuille.
On fit venir tous les savants des vieilles
provinces, les savants qui avaient quitté les provinces.
– Je ne suis pas coupable et j’assume !
– Le peuple a toujours faim et le peuple est trop nombreux !
Les savants gris accusaient le noir.
– C’est le noir qu’il faut détruire !
Les savants d’hypothèse accusaient tous les Dieux !
– Moi de mon temps, on faisait du savon, disait
un savant d’outre-Europe !
– T’en connais, toi des gros mots ?
– Moi je vous l’avais bien dit !
– Que va-t-on raconter aux enfants ?
Et le vieux savant qui avait inventé la poudre à déchirer le ciel,
pleurait un peu, à ce qu’on dit.
On n’avançait pas très beaucoup, avec tous ces
savants diplomates, habitués à courber le dos pour une ration de
flageolets-buns.
Et dans la belle mondiale usine, les ordinateurs continuaient à produire des choses,
les jolies choses qui plaisent aux hommes, les choses qui brillent, les choses qui explosent,
les choses qui font du bruit, les choses qui mentent, les choses qui se vendent au plus
offrant, toutes ces choses qui font de la fumée.
On enferma tous les savants dans la grande tour après le pont.
Et dans la grande tour de Babel, il y avait un savant, jeune encore, mais qui avait déjà lu
plusieurs livres avant le gris sur terre, et qui avait écouté des milliers de chansons
de troubadours de toutes les couleurs, des chansons de pâquerettes et de coquelicots.
Et ce fut son tour de parler, même dans le
gris, on peut parler quand même, il dit :
– Seuls les enfants, les enfants retrouvés, pourraient
passer entre les mailles du gris que nous avons tissé pour libérer la clé des
champs enfermée dans l’usine.
– La clé des champs - rirent les autres savants-
la clé des champs n’a jamais rapporté d’argent !
– Stupide ! dirent-ils dans toutes les langues guerrières.
Pourtant, si je vous raconte aujourd’hui cette
histoire, c’est que des enfants avaient entendu le jeune savant. On ne sait pas
comment, des enfants qui cherchaient une chanson à aimer, une histoire à
raconter à leurs parents, un sourire à ramener pour se faire dorloter.
Les enfants arrivèrent devant l’usine ils se
faufilèrent pour dérober la clé des champs, ils trouvèrent la pierre et libérèrent
le jour et la nuit.
Alors le jour et la nuit ont commencé à danser
dans le ciel en embrassant le soleil et le jour a hissé la nuit sur ses épaules
pour la poser délicatement sur un panier d’étoiles.