Il est entré dans le bureau
Mal éclairé, désordonné..
Une odeur de papier
Et d’encre mélangées
Occupait l’espace..
Il s’est assis
Dans le grand fauteuil
De cuir noir…
A gauche du bureau
A côté du téléphone
Il a posé sa conscience,
Tandis qu’à droite
Du porte-crayon
Il déposait son cœur.
La petite musique
A l’ouverture de son ordinateur
Le surprenait chaque fois,
Comme l’agaçait cette messagerie
Qui se remplissait bien trop vite…
Dans le parapheur
L’attendaient les lettres…
Toutes identiques
Toutes aussi impersonnelles…
Il en signait une, deux, dix
Sans état d’âme
C’était ainsi….
C’était fatal…
La crise…
L’économie mondiale…
La délocalisation..
Les charges patronales…
Le téléphone retentit
« oui mon chéri,
oui je n’oublie pas, un camion rouge
La place de cinéma, ton gâteau d’anniversaire.
Oui mon chéri, on ira aussi au bord de la mer… »
Il raccrocha et repris ses signatures..
Vingt, trente, quarante…
Un coup d’œil à la pendule
« Où vais-je déjeuner ? »
Cinquante, soixante…
Cent onze..
Voilà…
Cent onze..
Drôle de chiffre cent onze
Pourquoi cent onze ?
Mademoiselle Dumas
Frappa à la porte
« Puis-je prendre le courrier ? »
« Mais bien sûr ! » lui dit-il guilleret
En pensant qu’elle était charmante
Et super bien roulée cette jeune femme
Quelques années de moins et il aurait
Bien tenté de l’emmener déjeuner !
« J’imagine que ce ne doit pas être
Facile pour vous aussi monsieur.
Licencier tout votre personnel
Et fermer votre usine ! » Dit-elle
En attrapant les lettres…
« C’est la vie..
C’est ainsi…
C’était fatal…
La crise…
L’économie mondiale…
La délocalisation..
Les charges patronales… »
Répondit-il d’un ton neutre
D’une voix presque métallique.
Elle quitta le bureau,
Il s’adossa un moment
Au fond de son fauteuil
Les bras posés sur les accoudoirs,
Les yeux fermés,
Un presque sourire aux lèvres
Content du travail accompli.
Il prit sa conscience à sa gauche
La remit à sa place…
Son cœur un peu déboussolé
D’avoir été disposé à droite
Se sentit empli d’aise
En retrouvant sa cage thoracique…
Monsieur Alexandre
Regarda par la fenêtre
Les grands arbres agiter
Leurs longues branches noires..
Il sortit du tiroir
La petite arme argentée
La plaça sur sa tempe
Et sans hésitation tira…
On aurait pu,
Si l’on avait bien regardé
Voir cœur et conscience mêlés
S’échapper de son dernier rictus ….